SAVOIR ET CONNAISSANCE


1. Comment connaître la vie des hommes du passé?

La découverte des restes osseux des hommes de la Préhistoire a permis de reconstituer leur squelette puis leur allure générale (voir chapître précédent). Mais quel était leur vie? Les questions posées sont nombreuses et recouvrent les points suivants: durée de vie, structure sociale,  techniques, art,   stratégies de recherche de nourriture, habitation, langue, croyances, coutumes. En l'absence d'écriture, leur mode de vie ne peut être reconstitué qu'à partir des restes et des traces laissées dans les sols, les sédiments ou sur les roches dures.

 

Les restes humains peuvent donner des indications sur le mode de vie mais ils sont d'autant plus rares que les temps sont plus reculés. Les parties "molles" sont difficilement conservées, la  momification naturelle est un phénomène exceptionnel. Les restes osseux exigent des conditions bien définies pour  être conservés. De plus les os sont souvent brisés et dispersés; les squelettes entiers sont souvent les indices de sépulture, donc de culte des morts. Les traces d'anciennes fractures osseuses, d'incision avec un outil  peuvent donner lieu à des interprétations difficiles à vérifier. Lorsque du collagène est conservé dans des os, cas des restes récents, !'ADN mitochondrial peut être analysé, s'il n'est pas trop dégradé, et des relations génétiques  peuvent être déduites entre plusieurs individus. Les dents sont  les parties les plus facilement conservées; leur usure peut donner des renseignements sur le régime alimentaire.

 

Les traces d'activité humaine sont les plus instructives. Elles sont beaucoup plus fréquentes que les restes humains. Ce sont des outils en bois, en os, en pierre, des récipients en terre cuite, des bijoux... Pour les temps anciens, seuls les outils en pierre (généralement des silex) sont conservés. Les techniques de taille ont d'ailleurs été utilisées au XIX ème et au XXème siècle pour établir la chronologie des temps préhistoriques en l'absence de datations: Paléolithique inférieur, moyen et supérieur, Mésolithique et Néolithique. On trouve encore des témoins de construction, des accumulations locale d'os d'animaux, de plantes, de coquillages qui indiquent des activités de chasse, de cueillette. Il y a enfin des indices d'expression artistiques ou religieuses illustrées par les gravures ou peintures sur roches, qui peuvent totalement disparaître sous l'effet de l'érosion et de l'altération, et les sépultures.

 

 La conservation des traces d'activité dépend des périodes. Comme on peut s'en douter, le début de la  période historique ,  vers -5000 ans en Orient, fournit de nombreuses traces de travaux (fossés, constructions…), des objets d'artisanat (outils, récipients, bijoux…), des vêtements, dessins, gravures et surtout écriture. Les périodes préhistoriques récentes (Néolithique, Paléolithique supérieur) fournissent des témoins  nombreux, comme pour les temps historiques mais sans l'écriture. Les temps anciens (Paléolithique inférieur, vers – 1 M.a.) sont beaucoup moins riches et sont illustrés par des objets travaillés en pierre, généralement en silex,  qui vont de simples galets cassés ( pebble culture) au début du Paléolithique à des silex grossièrement retouchés, enfin plus finement retouchés à la fin du Paléolithique inférieur.


2. La vie au Paléolithique inférieur (-2,5 M.a. à -300 000 ans)

 

Afrique, Asie, Europe: Homo habilis, H. ergaster, H. erectus, H. heidelbergensis.

 

Les restes d'Homo habilis sont associés aux plus anciennes industries de pierre taillée: ce sont surtout des galets en silex peu modifiés par percussion, souvent difficiles à distinguer des silex cassés naturellement. Les galets sont taillés généralement sur une seule face pour confectionner un outil (chopper) ou pour obtenir des éclats tranchants. Ces outils devaient lui permettre de découper des morceaux de viande ou de casser des os. Il est difficile de reconstituer leur mode de vie. On s'accorde à penser que c'était d'abord des cueilleurs de fruits et de racines, puis des chasseurs de petits animaux,  peut-être mêmes de charognards, eux-mêmes proies des grands carnivores (comme les singes actuels). Leurs outils rudimentaires servaient à dépecer les proies. Leur durée de vie ne devait pas excéder 30 ans. 

 

Homo ergaster sait tailler le galet sur les deux faces en fabricant ainsi le biface.  Ces hommes devaient probablement utiliser aussi des outils en bois qui ne peuvent pas être conservés. Le développement des membres inférieurs  leur permit de couvrir de grandes distances à la recherche de nourriture pour finalement, à partir de l'Afrique, atteindre l'Asie et l'Europe (H. georgicus). La structure du larynx déduite des restes osseux ne semble pas compatible avec un langage articulé. Comme pour Homo habilis,   il n'y a pas de trace de sépulture.


Homo habilis: galet aménagé (chopper)
Homo habilis: galet aménagé (chopper)
Homo erectus: biface (Terra amata, Nice)
Homo erectus: biface (Terra amata, Nice)
Homo erectus Trace de foyer Terra Amata Nice
Homo erectus Trace de foyer Terra Amata Nice


Homo erectus a façonné des outils qui sont symétriques et paraissent mieux adaptés à leur usage (couper, gratter...). Il a colonisé une grande partie du globe (excepté les Amériques et certaines îles). Son outillage perfectionné et probablement son comportement social lui ont permis de chasser des gros gibiers (herbivores). Les traces de cendres de bois associées à ses restes laissent penser qu'ils savaient utiliser le feu. 

Homo heidelbergensis enfin se nourrissait surtout de la chasse. On associe d'ailleurs le développement du cerveau à la consommation de viande. Il pouvait chasser les chevaux et le rhinocéros. Il fabriquait également des épieux à lancer qui atteignaient jusqu'à 2,50 m de long. Les marques de découpage sur des os indiquent qu'il les raclait pour en retirer la viande. Les os étaient aussi utilisés comme des outils pour la fabrication d'outils en silex. Le développement de ses capacités culturelles a fait supposer à quelques chercheurs qu'Homo heidelbergensis possédait déjà les rudiments d'une langue simple.

3. La vie au Paléolithique moyen (-400 000 à -30 000 en Europe)

Europe, Asie (Proche Orient), Afrique du Nord
 

 Homo neandertalis et similaires

 

3.1 Industries

 

L'industrie du Moustérien est caractérisée par une technique de taille des silex  plus précise; les éclats prélevés sur les galets sont retouchés en fonction d'utilisation spécifique (racloirs, pointes). Le silex est débité en éclats qui pouvaient être utilisés bruts ou bien retouchés, légèrement modifiés sur leurs bords pour obtenir des outils plus spécialisés tels que les racloirs. Des traces d'adhésif naturel en bitume ou en résine sur certains outils montrent que ceux-ci étaient emmanchés. Les manches en bois (ou en os) ne sont généralement pas conservés mais on découvert en particulier dans un site d'Allemagne un fragment d'épieu en bois fiché dans les os du thorax d'un éléphant associé à des éclats de silex.

Il est probable que les derniers Néandertaliens soient les auteurs d'un faciès culturel de transition entre le Paléolithique moyen et le Paléolithique supérieur en Europe occidentale qui est caractérisé le débitage de lames et la fabrication d'outils en os.

(a)
(a)
(b)
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Industrie lithique du Moustérien. (a) Néandertalien taillant un silex (reconstitution  in Wikipedia); (b) nucléus et éclat; (c) racloir (Musée d'Angoulème); (d) Lame sur éclat (Musée d'Angoulème).

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3.2 Chasse et nourriture

  

Les accumulations  d'ossements d'herbivores (cerfs, bisons) à proximité des restes de Néandertaliens sont  interprétées comme le résultat de leur chasse. Les traces de découpe sur les os sont visibles. La pratique ponctuelle d'un charognage actif (accès primaire à la carcasse en écartant les prédateurs ou en recherchant les animaux morts dans des pièges naturels) est également possible. L'analyse isotopique (C, N) du collagène des os de néandertaliens d'un site de Charente, daté d'environ 40 000 ans BP, montre que ces individus consommaient essentiellement de la viande de grands herbivores.

Les traces de feu sont fréquentes. Les traces de découpe portées par les os d'animaux (herbivores comme les cervidés) trouvés à proximité montrent qu'il débitait son gibier à l'aide de ses outils en silex. 

 

3.3 Habitat

 

Les restes de Néandertaliens ont souvent été trouvés dans des grottes ou des abris sous roches, mais peut-être parce que ces lieux sont plus propices à la fossilisation. Il est certain qu'ils occupaient des grottes au moins provisoirement mais ils pouvaient fabriquer des huttes en branchages recouvertes de peaux .

 

3.4 Langage

 

Au vu de la structure de son larynx, on pensait qu'il avait un langage articulé au moins sommaire. En 1983, un os hyoïde néandertalien a été découvert. L'os hyoïde  maintient la base de la langue et est indispensable à l'élocution. Une étude récente a montré que cet os était plus petit que celui de l'homme moderne: la voix de l'homme de Néandertal aurait ainsi été plus aigue que celle de l'homme moderne. Le langage articulé a été confirmé l'année dernière par une étude génétique: l'ADNm possède un gène qui chez l'homme moderne est associé aux développement des aires du cerveau liées à la maîtrise du langage articulé. 

 

3.5 Manifestations rituelles et artistiques

 

Les restes de néandertaliens sont associés aux  premières manifestations de préoccupations esthétiques ou symboliques: collecte de fossiles ou de minéraux rares, ocre (terre rouge utilisée comme pigment)  utilisée probablement comme peinture corporelle (?), gravure de traits, de lignes ou de signes géométriques simples sur des os ou des pierres. Dans certains sites, des accumulations de crânes d'ours qui semblaient disposés intentionnellement ont été interprétées comme le résultat d'un « culte de l'ours ».

 

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(a) Os incisés (Musée d'Angoulème)

(b) Flûte faite d'un fémur d'ours 

(Governement Communication Office, 
Slovenia).

(c) Canine de carnivore percée interprétée

 comme un pendentif

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3.6 Rites funéraires

 

Certains squelettes sont disposés de façon précise et peuvent être associées à des restes végétaux ou des coquillages. Ces premières véritables sépultures connues  datent d'environ - 100 000 ans et ont été mises au jour au Proche-Orient. Elles comportent souvent des fosses intentionnelles et sont pratiquement toujours associées à des habitats. Il est peu probable qu'elles n'aient eu qu'un rôle fonctionnel simplement destiné à se débarrasser d'une dépouille, mais elles seraient plutôt l'indice de rites funéraires. En effet, dans certains cas, elles comprennent des dépôts funéraires (outils lithiques, fragments de faune). A Shanidar (Irak), une sépulture  renfermait un Néandertalien enterré sous une grande dalle; une grande quantité de pollens de plantes à fleurs était présente autour du corps, ce qui a été interprété  comme la preuve du dépôt de nombreuses fleurs lors de l'enfouissement. La présence de traces de désarticulation, de décharnement, de fracturation intentionnelle ou de calcination sur certains os de Néandertaliens a posé des problèmes d'interprétation. On a d'abord pensé à du cannibalisme mais celà pourrait être plutôt  un traitement post mortem des dépouilles dans le cadre d'un rite funéraire.

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(a) Grotte de Shanidar (Irak) (b) Sépulture de Shanidar: le corps avait été recouvert de fleurs.